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Cabinet C.I.E " Conseil Inter Entreprise "

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Droit des Obligations

Cass. civ. 1ère, 2 juillet 2014 (pourvoi n° 13-17.599)

Obligation de minimiser le dommage

 

Des époux font l’objet d’une proposition de rectification fiscale résultant du manquement de leurs notaires à leur devoir d'information et de conseil en ce qui concerne l’efficacité d’un dispositif de défiscalisation qu’ils avait conseillé à leurs clients (les époux) en matière immobilière. Or, c’est par « une exacte application » de l’article 1382, comme le souligne l’arrêt pour insister sur la pertinence du raisonnement mené par les juges d’appel, que ces derniers ont retenu qu’il ne peut être reproché aux clients de ne pas avoir accepté, pour réduire le préjudice financier qui en découlait pour eux, d'opter pour un autre dispositif de défiscalisation indiqué par l’Administration fiscale elle-même. En conséquence, les notaires sont tenus d'indemniser intégralement leurs clients, c’est-à-dire à hauteur des réductions d'impôt dont les clients auraient dû bénéficier si le dispositif de défiscalisation qui leur avait été conseillé s’était avéré efficace.

Dans l’ensemble, la solution n’étonne pas tant on sait que la jurisprudence refuse l’idée même d’une obligation, pour la victime, de minimiser son dommage, corporel comme matériel ; la solution reprend d’ailleurs le principe constant en la matière : « l’auteur d’un dommage doit (…) dans l’intérêt du responsable ». Toutefois, deux choses peuvent être notées.

D’une part, la question posée en l’espèce était peut-être moins celle de l’éventuelle minimisation du dommage postérieurement à sa survenance que celle de sa prévention, du moins partielle : en acceptant le dispositif de défiscalisation indiqué par l’Administration au stade de la simple proposition de rectification, les clients auraient diminué le montant de leur rectification définitive. La solution apparaît ainsi comme peu favorable aux notaires, ce qui semble participer d’un mouvement jurisprudentiel plus large, qui témoigne d’une rigueur croissante à leur égard.

D’autre part, la solution peut sembler curieuse en ce qu’elle est fondée sur l’article 1382 du Code civil, alors que le manquement des notaires à leur devoir d’information, qui est à l’origine du dommage subi par leurs clients, s’inscrit dans le contexte de relations contractuelles. Cela dit, une relative incertitude règne en jurisprudence quant à la nature de la responsabilité des notaires : contractuelle ou délictuelle. Or, ce point n’est peut-être pas anodin dès lors que des auteurs pensent que ce serait seulement dans le cadre de la responsabilité contractuelle que l’on pourrait envisager de transposer en droit français la mitigation of damage. Reste que seul l’avenir dira si la question de l’obligation de minimiser le dommage doit véritablement être réglée différemment selon la nature de la responsabilité en présence.

 

Cass. civ. 3ème, 10 juillet 2013 (pourvoi n°12-13.851), inédit

Au-delà de la question de savoir si l’obligation de minimiser le dommage devrait ou non s’entendre différemment selon que l’on se place dans le cadre de la responsabilité délictuelle ou bien contractuelle comme en l’espèce (l’arrêt est rendu au visa de l’article 1147 du Code civil en raison du contrat d’entreprise liant l’auteur du dommage et la victime), cet arrêt illustre une fois de plus le refus de la jurisprudence française de consacrer une telle obligation et ce, que le dommage en question soit corporel ou matériel. Cela dit, l’intérêt de cet arrêt non publié, tient peut-être dans le fait qu’il permet de poser la question de la distinction, quelque peu subtile il est vrai, entre l’obligation de minimiser le dommage et celle de ne pas l’aggraver. À en croire l’expert, la propriétaire de la maison aurait pu éviter l’aggravation du dommage, à la suite du vol des étais, en prenant des mesures conservatoires. Or, on peut penser qu’il n’aurait pas été illégitime que la victime joue un tel rôle, qui consiste au fond, non pas à réparer elle-même une partie de son propre dommage, mais simplement à le cantonner à ce qu’il est déjà. Au fond, il y a peut-être une sorte d’équilibre à trouver. Parce qu’il n’y a pas de raison d’accorder de faveur à l’auteur du dommage, la victime n’est pas tenue de minimiser son dommage. En revanche, parce qu’il n’y a pas de raison non plus d’accabler l’auteur du dommage, et dans le prolongement du devoir de loyauté censé présider à l’exécution du contrat par les parties, la victime pourrait être tenue de ne pas laisser le dommage s’aggraver. Finalement, il ne s’agirait là que d’une lecture du principe de la réparation intégrale envisagé du côté de l’auteur du dommage : celui-ci doit réparer le dommage, tout le dommage, mais rien que le dommage dont il est l’auteur. Ce qui, le plus souvent, déplacerait ainsi le débat sur le terrain de la causalité, comme en l’espèce. Parce qu’après tout, l’aggravation du dommage subie par la propriétaire de la maison était-elle directement en lien avec l’intervention de l’entrepreneur dès lors que c’est le vol des étais qui a conduit à la démolition reconstruction de la maison ? Par où l’on vérifie, comme souvent, que toutes ces questions sont intimement liées.

En outre, on signalera à ce sujet qu’un arrêt de la Première chambre civile du 2 octobre 2013, lui aussi inédit, semble d’ailleurs avoir fait application au détriment de la victime de ce qui ressemblerait à une obligation de ne pas laisser s’aggraver le dommage. En l’espèce, la victime avait assigné un chauffagiste, à la suite un dysfonctionnement d’une chaudière, en considérant notamment que l’absence de chauffage avait contribué à rendre l’immeuble impropre à la location pendant deux ans. Constatant qu’elle n’avait pas procédé à une opération de rinçage initial fortement recommandée, la Cour de cassation a considéré que son « inertie » avait « accru son préjudice ». Le rapprochement des deux arrêts est donc intéressant, car il montre toute la difficulté de distinguer l’obligation de minimiser le dommage de celle de ne pas le laisser s’aggraver et ce, surtout, en présence d’actes négatifs…

 

Cass. civ. 2ème, 12 septembre 2013 (pourvoi n°12-24.650)

Existence d'un contrat d'assurance, exclusion légale de garantie en cas de faute dolosive

 

En vertu de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, « l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ». Faut-il, pour l’application de ces dispositions, tenir les fautes intentionnelle et dolosive pour équivalentes ou plutôt reconnaître à l’une et l’autre leur autonomie ? Pendant longtemps, la jurisprudence affirmait l’identité de ces deux fautes en jugeant « qu’il n’y a faute intentionnelle ou dolosive, au sens de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, que si l’assuré a voulu, non seulement l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même » (Cass. civ. 1ère, 22 mars 1983). Dans le prolongement d’arrêts récents ayant entrepris de restaurer la notion de faute dolosive (Cass. civ. 3ème, 7 oct. 2008 ; Cass. civ. 2ème, 28 fév. 2013), l’arrêt ici présenté consacre donc sans ambiguïté l’autonomie de la faute dolosive pour les besoins de l’application de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances. En l’espèce, les juges ont considéré que l’assuré, bien que n’ayant pas recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées, avait volontairement tenté de franchir le cours d’une rivière avec un véhicule non adapté à cet usage et qu’il avait ainsi commis une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur en ce qu’elle faussait l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque.

On comprend ainsi, contrairement à ce qui a pu être parfois affirmé en doctrine, que la faute dolosive ne se conçoit pas que dans un cadre contractuel, là où elle est traditionnellement définie comme l’inexécution délibérée d’une obligation par le débiteur qui, même non animé d’une intention de nuire, a la certitude de provoquer le dommage par son action ou son inaction ; la faute dolosive qualifiée en l’espèce ne participe effectivement pas de la violation d’une quelconque obligation contractuelle. Et au-delà de son domaine, c’est aussi le critère de la faute dolosive qui se trouve précisé dans l’arrêt. Si la faute intentionnelle est entendue comme la faute volontaire commise avec l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu (Cass. civ. 1ère, 9 juin 2011), la faute dolosive correspond à tous les autres cas dans lesquels la faute fait disparaître l’aléa, le comportement délibéré de l’assuré qui rend inéluctable la réalisation du dommage étant incompatible avec « l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque ». En d’autres termes, désormais autonome, la faute dolosive s’entend d’une faute volontaire supposant, non pas la recherche du dommage effectivement causé, mais seulement la connaissance par l’assuré du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son action ou de son omission. Il en résulte donc un élargissement du champ de l’exclusion légale.

 

Cass. com., 18 février 2014 (pourvoi n°12-29.752)

Responsabilité de l'associé d'une société vis-à-vis des tiers

 

Dans cet arrêt important, la Cour de cassation admet pour la première fois, au visa des articles 1382 et 1842 du Code civil, le principe de la responsabilité de l’associé d’une société vis-à-vis des tiers, dès lors que celui-ci commet une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d’associé. Sont ainsi transposées les conditions de la responsabilité personnelle des dirigeants à l'égard des tiers, fondée sur l'existence d'une faute séparable ou détachable des fonctions, telle que définie depuis l'arrêt de principe du 20 mai 2003 (Com. 20 mai 2003) comme « la faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ».

Lorsque le dirigeant agit pour le compte de la société, et même lorsqu'il commet une faute, on considère ainsi qu’il n'est jamais que l'organe de la société et qu’il ne se confond donc pas avec celle-ci. Du point de vue des tiers, c’est donc la société qui commet la faute, de sorte que le dirigeant n'engage en principe pas sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers, sauf à mettre en évidence une faute établissant qu'il est « sorti » de ses fonctions, c'est-à-dire une faute séparable des fonctions. En ce qui concerne l’associé d’une société, l’idée reste sensiblement la même, quoique l’on parle davantage de prérogatives que de fonctions. Au travers des actes de l’associé, il faut voir en réalité la société. Par principe, c’est donc encore une fois la société qui commet la faute, de sorte que son associé n’engage pas sa responsabilité personnelle vis-à-vis des tiers comme peut l’être un cocontractant de la société. Sauf que désormais, l’associé peut être reconnu personnellement responsable si la faute qui lui est imputable remplit les critères fixés dans l’arrêt commenté, qui couvrent en réalité deux champs : celui de l'intention et celui de la gravité de la faute.

S'agissant de l'intention, il est fait référence à une « faute intentionnelle », ce qui est plus exigeant que la « faute commise intentionnellement » parfois mentionnée par la jurisprudence (Cass. com., 4 juill. 2006) : la faute intentionnelle suppose en effet l'intention, non seulement de commettre la faute, mais aussi de causer le préjudice. Quant à la gravité, elle soulève surtout la question de savoir si les deux critères retenus par la Cour de cassation n'en formeraient pas qu’un seul, en réalité, dans la mesure où il n’est pas certain que l’on puisse concevoir des fautes d'une particulière gravité qui soient tout de même compatibles avec l'exercice normal des prérogatives attachées à la qualité d'associé…

 

Cass. civ. 2ème, 22 mai 2014 (pourvoi n°13-10.561)

Accident de la circulation, notion d’accident de la circulation, garde collective du véhicule

 

Comme elle avait déjà eu l’occasion de le préciser (Cass. civ. 2ème, 24 juin 2004), la Deuxième chambre civile retient tout d’abord, en soulignant que c’est « à bon droit » que les cour d’appel a statué en ce sens, qu’une tondeuse à gazon auto-portée est bien un véhicule terrestre à moteur et que l’accident provoqué par ce véhicule en stationnement constitue un accident de la circulation. La notion de « circulation » est en effet entendue largement comme recouvrant les hypothèses où le véhicule était en stationnement (Cass. 2e civ., 23 mars 1994) , y compris comme en l’espèce lorsque l’accident s’est produit dans un garage privé individuel (Cass. 2e civ., 18 mars 2004), dès lors qu’il résulte de la fonction de déplacement du véhicule.

Ensuite, alors qu’on pouvait la croire sur le déclin (Cass. 2e civ., 25 nov. 1999), la notion de garde collective semble ici refaire surface pour exclure du bénéfice de la loi de 1985 l’épouse (et ses ayants droit) qui est considérée comme « co-gardienne » de la tondeuse, seul véhicule impliqué dans l’accident. À ce sujet, il est à rappeler que dans ce type de situation, « le gardien d'un véhicule terrestre à moteur, victime d'un accident de la circulation, ne peut se prévaloir des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 à l'encontre de son propre assureur, pour obtenir l'indemnisation de son dommage, en l'absence d'un tiers conducteur du véhicule, débiteur d'une indemnisation à son égard » (Cass. civ. 2ème, 13 juillet 2006). Telle est donc la règle particulièrement rigoureuse appliquée en l’espèce à la victime directe (l’épouse) et, partant, aux victimes indirectes (les ayants droit de l’épouse), une fois que la garde collective a été caractérisée en vertu du fait que « la tondeuse auto-portée, acquise pendant le mariage appartenait tant à Thierry X qu’à Hélène X qui avaient tous deux la qualité de gardiens ». Témoignant d’une (trop ?) grande souplesse des juges, une telle assimilation du gardien au propriétaire, classique sur le fondement du droit commun, devient néanmoins critiquable lorsqu’il en est déduit l’existence d’une garde en commun, laquelle déroge au caractère alternatif de la garde et suppose donc que soit caractérisé l’exercice simultané par plusieurs personnes de pouvoirs identiques d’usage, de direction et de contrôle sur la chose. Et un tel raisonnement est d’autant plus critiquable lorsqu’il conduit de surcroît, comme en l’espèce, à priver de toute indemnisation les victimes directes et indirectes sur le fondement de la loi de 1985, qui est pourtant censée leur être favorable (les victimes doivent alors se retourner vers l’article 1382 du Code civil)… sachant de surcroît que le recours à la notion de garde collective, en droit commun, est également censée profiter aux victimes…

     

Monsieur ZARHI Patrick